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La réforme des championnats décryptée avec Eric LE PAPE

Si tu formes bien et que tu perds en jouant bien, tu finiras par gagner.
Si tu formes mal et que tu gagnes en jouant mal, tu finiras par perdre.



J'avais rencontré Eric LE PAPE, un des deux vice-présidents du BLMA et directeur de son Centre de Formation il y a un peu plus d'un mois pour aborder avec lui le sujet de la formation (ici, ici et encore ici. Depuis, lundi très exactement, la réforme des championnats féminins a été dévoilée en détails. Il était donc nécessaire de revenir vers lui pour connaître son avis.
C'est technique, mais prenez le temps de lire: c'est de l'avenir du basket féminin que l'on discute!
La réforme des championnats décryptée avec Eric LE PAPE

bEric, que penser de cette réforme qui touche tous les étages de la pyramide?]b
Comme toutes les réformes de cette envergure, elle ne peut être parfaite. Je vais essayer de te la décrire du point de vue d'un dirigeant d'un club de LFB qui s'occupe d'un Centre de Formation qui est actuellement n°1 au Rankin Espoir en France et qui se sent donc particulièrement concerné par la compréhension des facteurs clés de succès pour arriver à tirer le niveau des jeunes joueuses vers le haut.

Quel est ton constat?
Les clubs de LFB doivent être les locomotives de l'ensemble du système. A ce titre, ils doivent être exemplaires, organisés et performants dans la formation pour deux raisons:
* la grande valeur ajoutée du basket féminin français est sa formation. Sa pérennisation passera sans nul doute par l'émergence d'une formation de haut niveau en France. Sinon, les jeunes joueuses iront se former à l'étranger et nous aurons tout perdu.
* nos équipes nationales, toutes catégories confondues, sont performantes au niveau européen. Nos joueuses doivent donc être plus utilisées dans notre championnat de LFB.


Quelles sont les bases de cette formation?
Elles sont doubles, tout comme on marche sur deux jambes: un Centre Fédéral (INSEP) fort et des centres de formation des clubs de LFB plus performants qu'ils ne le sont. Il faut muscler ces deux jambes en même temps.

Ce n'est pas le cas aujourd'hui?
Si. L'INSEP fait bien son travail et quelques clubs de LFB (Bourges, Challes, Villeneuve d'Ascq...et nous) respectent le cahier des charges de la Fédération (NDR: une équipe en NF2 et une équipe en Cadettes France Groupe A). D’autres travaillent bien mais n’y arrivent pour des raisons conjoncturelles qu’une année sur deux. Cela permet pour le moment de gagner des titres ou des médailles au niveau européen ou mondial.
La force d’un engagement, c’est la solidarité. Mais à un moment, on ne peut pas aligner l’ensemble de la ligue sur une minorité qui, elle, ne souhaite pas s’y investir. Cela déstabilise le modèle économique.

L'objet de cette réforme n'est-il pas d'améliorer encore le système?
Bien sûr que si. Mais si certaines mesures vont dans le bons sens, il faut reconnaître que d'autres inquiètent.

Commençons alors par la plus technique sans doute: la modification des catégories d'âge.
On va effectivement passer d'un cycle de 5 ans composé de 3 années "Cadettes"+ 2 années de convention à un cycle de 2 années "Cadettes" + 3 années "Espoirs". Toujours 5 ans donc, mais curieusement en décalage avec la formation scolaire et universitaire. Pour nous, au BLMA, nous avons une équipe "Cadettes FRANCE" très performante dans laquelle pas mal de joueuses seront encore cadettes la saison prochaine. En revanche, il nous faudra recruter des "cadettes 1ères années" (ou des minimes dernières années) très performantes. En ce sens, nous devrons encore améliorer nos processus de scouting, de détection, de recrutement et de préformation.
Une joueuse à potentiel moyen n’a rien a faire dans un centre de formation de LFB. A ce titre, la création de la catégorie "Juniors" va permettre d’assurer une certaine cohérence avec le secteur fédéral. Mais je préférerais garder 3 ans "cadettes" et ensuite 2 ans "Espoirs" où là nous pourrions parler de formation avec un projet LFB. Et en parallèle, une seule année "Junior" pour le secteur fédéral où les bonnes cadettes jouent déjà dans leurs équipe 1.
Nous pouvons sans doute encore aller plus loin en considérant qu'être basketteuse en LFB est un métier qui s’apprend par la mise en place de la sécurisation du parcours professionnelle de la jeune joueuse sur les deux ou trois ans Espoir.


Deuxième sujet: l'individualisation du suivi de la joueuse et son statut.
Là encore, c'est un point positif. La jeune joueuse doit être au centre du projet et son suivi doit être une priorité. En revanche, les questions pratiques subsistent: comment s'organise-t-il? A la charge de qui est-il? Des clubs? De la Fédération? Il faut travailler la question mais ce point, s'il est bien mis en œuvre, sera une véritable avancée.

Quid de la participation financière de l'ensemble de la pyramide à l'effort de formation?
C'est là aussi une bonne chose. Il faut savoir que le budget d'un centre de formation représente environ 10% du budget d'un club de LFB. Une joueuse conventionnée coûte environ 10.000€ par an et il faut en compter entre 15 et 20 pour faire évoluer les deux équipes cadettes FRANCE et NF2: 35% correspondent à la logistique consacrée à la joueuse (logement, nourriture, scolarité, suivi médical...), 45% vont à la formation par le biais des salaires et des charges des entraîneurs, 20% vont aux obligations fédérales d'organisation des compétitions et de logistique des déplacements. Enfin, 20% supplémentaires vont au déficit des clubs malgré l'engagement des collectivités locales sur le sujet.

On arrive donc aux alentours de 150.000€ en moyenne.
C'est la raison de l'utilisation "alimentaire" de la formation par certains clubs qui considèrent celle-ci comme un centre de coût et non un centre de profit. La caisse de péréquation devrait permettre de corriger cette perversion en récompensant les clubs formateurs les meilleurs, y compris en installant un système de bonus pour les sélectionnées ou présélectionnées dans les équipes nationales. On peut encore retravailler la répartition pour les bons élèves qui semble insuffisante, mais c'est un bon système.
J’espère également que les bons clubs formateurs du Basket Français des niveaux inférieurs, car ils existent, vont pouvoir en bénéficier également.
La réforme des championnats décryptée avec Eric LE PAPE

Troisième sujet, le plus visible par le public sans doute: la nouvelle pyramide du championnat. Pour faire simple, notre équipe de NF2 qui évolue aujourd'hui au 3ème échelon national va se retrouver rejeté au 4ème. Personnellement, cela me semble être une catastrophe.
Le niveau proposé aujourd'hui dans la réforme, la CF2, n'est certainement pas le bon. Je n'ai pas changé d'avis depuis notre dernière rencontre: le niveau auquel les cadettes à fort potentiel doivent évoluer est la future CF1, surtout pas plus bas. Si tu veux grandir, va là où c'est dur. Cet alignement par le bas du niveau de pratique des centres de formation va retarder l'éclosion des joueuses à potentiel.
J’en ai discuté avec quelques techniciens qui on amené des titres au Basket Français: on n’a pas pris conscience de l’importance de la continuité et de la maitrise du travail dans la formation. A cet égard, le niveau d’intervention et de pratique est fondamental: quoi de plus performant qu’une LFB et une troisième division pour travailler au quotidien?
Le rapport au temps est essentiel il suffit de regarder la composition de l’Equipe de France U 17 de 2007 pour comprendre que les joueuses évoluent en LFB à maturité, soit 3 ans plus tard, de plus souvent dans des équipes en course pour le TOP 4.


Quelle serait la solution alors?
Une première option serait de faire 3 poules de CF1 au lieu de 2 (une Nord, une Centre et une Sud) à 12 avec play-off "Espoirs". Mais le plus simple serait encore...de faire respecter les règlements qui existent! Le cahier des charges que nous évoquions un peu plus haut n'est pas respecté par tous les clubs. Pour la formation, ce serait un "plus" énorme et en terme d'équité cela serait un juste retour des choses.
On pourrait également s'inspirer du rugby et du...basket masculin français qui vient de valider lors de son dernier Comité Directeur la notion de "JFL", Joueurs Formés Localement. Obligation sera faite aux équipes de Pro A, dès à partir de la saison prochaine, de compter un minimum de 5 "JFL", c'est-à-dire 5 joueurs "pouvant justifier de 4 années de licence en France entre 12 et 21 ans". "C'est une avancée considérable, une date importante de l'histoire de la Ligue" comme l'a déclaré René LE GOFF. On met maintenant en avant la formation avant la nationalité. Voilà qui pourrait se faire également chez les Filles en imposant un quota de joueuses de moins de 21 ans sortant d’un centre de formation (CFBB ou LFB) dans les effectifs LFB (4 sur 12) dont 2 obligatoirement sur la feuille de match.

Aujourd'hui, une joueuse à potentiel évoluait au BLMA en NF2 et pouvait compter grappiller du temps de jeu chez les pros. Il y avait environ 30 clubs entre les deux niveaux (14 en LFB et 16 en NF1). Souvenons-nous d'Alexia PLAGNARD la saison dernière par exemple. Sera-ce encore possible la saison prochaine? Pourra-t-on convaincre ce type de joueuse d'évoluer en CF2 puisqu'il y en aura maintenant environ 54 (14 en LFB, 16 en Ligue 2 et 2 poules de 12 en CF1)?
Les clubs qui ne font pas une place aux jeunes dans leurs effectif LFB sont souvent ceux que l’on ramasse à la petite cuillère 2 ou 3 ans plus tard. Nous avons déjà donné à Montpellier.
C’est pour cela que nous sommes allés chercher Alexia et d’autre joueuses qui désormais gravitent dans les Equipes de France de jeunes. A moins d’être négligents, nous devrions avoir compris au club que la réforme renforce les clubs formateurs et pas le contraire.
Bourges et d’autres clubs pourraient être d’accord, sous conditions financières, de participer à une CF1 sous une forme à 2 poules de 12.


Dernier point spectaculaire: la double licence. Celle qui permet à une joueuse de jouer pour deux équipes.
Là, j'avoue que je suis plus que circonspect, tant sur le principe que sur la mise en œuvre. On peut y voir un intérêt dans certains cas très particuliers (des villes non universitaires pourront conserver sous licence des joueuses partant faire deux années d'étude ailleurs. Mais la formation est un travail qui nécessite de la continuité. La multi-intervention sur une joueuse, des avis divergents sur son utilisation de telle ou telle manière, des désaccords sur son parcours ou son itinéraire seront non seulement source de conflits entre les clubs concernés mais aussi sources de brouillage de son parcours. Les balises, si importantes dans cette tranche d'âge, vont lui manquer. De manière concrète également, quid de son suivi médical, des assurances, de son intégrité physique et psychologique? Quid des responsabilités ainsi diluées?

En conclusion?
Tous les clubs ne sont pas d'accord pour cette réforme. Mais nous n'aurons pas non plus trop le choix et il nous faudra nous adapter. Nous avons une réunion d'information le 28 mars qui nous permettra je pense de poser encore certaines questions et d'obtenir certains éclaircissements. Peut-être même, espérons-le, de faire bouger encore quelques lignes de ce projet. Les techniciens du basket doivent être écoutés et le basket doit rester aux basketteurs.
De la même manière, la réussite sportive et économique ne passera que par la réussite opérationnelle du projet. La vérité revient toujours au terrain et la simplicité doit toujours prévaloir.



Mardi 23 Mars 2010
Dominique B.

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